« Notre force en tant que PME wallonne, c’est notre flexibilité et notre contact humain. C’est très apprécié ici à Dubaï. »
17 entreprises wallonnes sont actuellement en déplacement à Dubai avec Wallonia Export sur le salon Gulfood. Avec quels objectifs et quelles attentes ? Nous en avons discuté dans l’espace Walfood avec Julien Blaise, chargé de développement international pour la société liégeoise Eurofit, spécialisée dans la fabrication de produits laitiers. Après avoir signé plusieurs grands contrats dans la région, il fait le point avec nous sur les enjeux de la grande exportation pour les PME. Entretien.
AWEX : Bonjour Julien, merci de nous accueillir ici. Pourriez-vous d’abord nous présenter qui est Eurofit ?
Julien Blaise : A l’origine, mon père travaillait dans le monde de la sidérurgie. Mais comme pour beaucoup d’acteurs du milieu, il a réorienté des activités quand le secteur a commencé à aller mal. Mon père disposait de nombreux contacts noués en Allemagne de l’Est, grand bassin laitier en Europe, et a complètement réorienté la société vers de l’import-export de lait. C’était en 1987, année de naissance d’Eurofit, la société que vous voyez aujourd’hui. Progressivement, nous sommes passés du pur trading à la transformation puis à la production de produits finis. Eurofit est donc aujourd’hui spécialisée dans la production et la commercialisation de produits laitiers, essentiellement à destination de la grande distribution (private label) belge, allemande et française. Nous proposons près de 40 produits de référence différents comme du lait UHT, du lait concentré, en poudre, pour bébé, des fromages, de la mozzarella, des yaourts…
AWEX : Vous aviez participé en novembre dernier à la mission économique organisée par l’AWEX à Dubai. Vous êtes aujourd’hui présent à Gulfood, avec la délégation wallonne, c’est donc que vous êtes fort actif à l’export ?
JB : Tout à fait, c’est même essentiel pour une PME comme la nôtre. Nous avons attaqué l’export il y a quelques années avec l’ouverture d’une première filiale en France et des ventes dans les principaux pays voisins. Puis nous avons diversifié nos opérations et nous nous sommes lancés dans la grande exportation en nous développant en Chine en vendant du lait UHT et des poudres de lait. C’est suite à la chute des ventes de lait vers la Chine que nous avons opéré un virage à 180° vers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Actuellement, nous vendons à 40% en Belgique et 60% à l’export, dont 50% overseas (hors Europe).
AWEX : Quand on travaille dans le lait, ou plus largement dans l’agroalimentaire, l’export est-il indispensable ?
JB : L’export c’est vital pour nous. Nous nous sommes lancé car nous y avons décelé des opportunités sur des marchés ou la plus part des grands structures occidentales n’étaient pas encore présentes. Ce qui à précipité notre stratégie à l’export au même moment ou le marché européen devenait de plus en plus compliqué. En Europe et en Amérique du Nord, la consommation diminue et les pressions exercées par les grands distributeurs rendent l’équation de plus en plus complexe. Mais hors-Europe, la demande augmente toujours en parallèle avec l’augmentation des classes moyennes, surtout en Asie et au Moyen-Orient. Là, le public local et expatriés sont très demandeurs de produits laitiers, encore plus s’ils sont d’origine européenne. Nous avons la chance que l’image du lait, et des produits européens en général, est très bonne. La provenance européenne a cette aura de qualité et de fraîcheur. C’est le gros avantage compétitif dont nous bénéficions et qui poussent nos clients à acheter plus cher.
AWEX : Pour revenir au Moyen-Orient, c’est un marché stratégique pour vous ?
JB : Tout à fait ! Nous avons commencé avec des contrats ‘one shots’ à Dubai, mais depuis 3 ans nous avons décroché des gros contrats dans le Dairy avec les Emirats arabes unis (EAU), les plus grosses ventes (en volumes) jamais réalisées d’ailleurs. Fin 2021, nous avons participé à la mission économique que vous avez organisé à Dubaï dans le cadre de l’Exposition Universelle. Durant la mission, nous avons signé un important contrat avec la société Al Rawabi, plus importante société émiratie active dans les produits laitiers. Ce contrat porte sur la livraison de 4,2 millions de litres de lait UHT aux EAU, ce qui représente près de 200 conteneurs qui seront acheminés. Nous deviendrons ainsi, avec ce marché, le plus gros exportateur belge de produits agroalimentaires dans les Émirats. Il s’agit d’un contrat renouvelable qui appelle aussi de nouveaux développements. Cela représenterait plus de 20 millions de litres sur une année et… 1 000 conteneurs !
Julien Blaise, chargé de développement international chez EUROFIT
"Notre défi principal, auquel font d’ailleurs face la plupart des entreprises et leurs clients, tous secteurs confondus, c’est l’explosion des couts à tous les échelons de la production et de la vente."
AWEX : A quels challenges devez-vous faire face actuellement en exportant si loin ?
JB : Notre défi principal, auquel font d’ailleurs face la plupart des entreprises et leurs clients, tous secteurs confondus, c’est l’explosion des couts à tous les échelons de la production et de la vente. Nous avons perdu plusieurs contrats en raison de l’augmentation des frais de transport, du prix des matières premières et des produits laitiers.
Malgré les contrats initiaux (les incoterms, voir notre vidéo à ce sujet, NDLR) nos clients nous demandent si nous pouvons sur l’augmentation des coûts du transports car ils sont aussi impactés. Pour nous, c’était encore faisable en 2020 mais en 2021 les augmentations sont devenues trop fortes, réduisant nos marges respectives à néant. Du coup ces derniers se tournent vers les productions locales, moins chères. Ils reconnaissent avoir perdu en qualité mais la pression sur les prix est telle qu’ils n’ont pas le choix.
AWEX : Qu’attendez-vous de votre présence à Gulfood ? Est-ce que cette présence s’inscrit dans le cadre du suivi de votre précédente mission à Dubai et de la signature réalisée sur le pavillon belge ?
JB : Gulfood, c’est un salon incontournable dans le monde de l’agroalimentaire <LIEN article 1>, à la fois pour le marché du Moyen-Orient, mais aussi comme hub international et comme porte vers les pays asiatiques. Nous avons plusieurs clients, notamment du Koweït, du Bahreïn, d’Inde et du Pakistan, que nous rencontrons du coup à Gulfood. En parallèle, nous allons faire de nouveaux contacts sur le salon, sans devoir faire de tournée multi pays.
En plus, le salon est une étape importante dans notre stratégie d’ancrage dans la région. Cela fait plusieurs années que nous participons à des foires et salons dans la région avec l’AWEX, et celui-ci est vraiment la référence.
AWEX : Pour terminer, avez-vous un conseil à donner à une entreprise qui prospecterai sur les marchés moyen-orientaux ? Il y en a plusieurs sur le pavillon wallon qui viennent pour la première fois à Dubaï.
JB : Notre principal conseil est : soyez persévérant et flexible. La manière de faire du business est très différente ici. En Europe, si vous avez un rendez-vous dans le cadre d’une foire, vous savez qu’il aura lieu, sauf exception. Ici tout se fait sur de très courts laps de temps, en général via la messagerie WhatsApp. Tout s’annule, se reporte, se replanifie… N’oubliez pas que, si Dubaï est une des villes les plus mondialisée de la planète, cela ne veut pas dire que la culture occidentale des affaires y est dominante. Loin de là. Nous avons déjà vu de gros concurrents se planter dans leur prospection ici car ils sont trop rigides pour la culture locale.
C’est d’ailleurs une de nos forces, et sans doute des PME wallonnes en générale, notre taille nous permet d’être flexible, de privilégier les contacts humains, les réseaux, la WASTA comme ils appellent ici, c’est très apprécié.
Je terminerai par une anecdote personnelle, édifiante, qui nous est arrivée. Après de multiples annulations, reports, voire silences d’un de nos potentiel plus important client ici à Dubai, je me suis rendu directement à son bureau, situé dans une zone agricole au milieu du désert. Je lui ai écrit par WhatsApp que j’étais là, devant sa porte. Contre toute attente il m’a reçu et nous avons commencé à faire des affaires. Ce qu’il faut en retenir c’est que c’est parfois le seul moyen d’obtenir un rendez-vous. Mon autre conseil : si vous venez en mission au Moyen-Orient, rendez-vous disponibles 24/7 et concevez la possibilité d’étendre votre séjour de plusieurs jours si le lead en vaut le coup. Ca m’est déjà arrivé d’ajouter une semaine à ma mon déplacement initiale. Bon après, je ne dis pas que c’est à chaque fois comme ça, mais ce n’est pas si rare comme situation (rires).
Signature de contrat pour Eurofit lors de l'Expo 2020 de Dubai - Présence à l'édition Gulfood 2022