L’Agence wallonne de l’exportation et aux investissements étrangers (Awex) a sélectionné dix entreprises pour un programme intensif d’intégration à New York, visant à faciliter leur entrée sur le marché américain. A l’issue de la formation, Catalina Daniels, Venture partner de l’incubateur de startups ERA a partagé avec nous ses conseils et observations pour aider les entreprises wallonnes à prospecter avec plus d’efficacité le gigantesque marché que constitue les Etats-Unis.

Avec plus de 9.000 start-ups dans des domaines aussi variés que la technologie, la santé ou la mode, New York est l’un des plus grands centres mondiaux de l’innovation. Soutenu par plus de 200 incubateurs, son écosystème de start-ups est valorisé à 147 milliards de dollars, ce qui en fait le deuxième plus grand hub entrepreneurial des États-Unis, après la Silicon Valley.

L’Entrepreneurs Roundtable Accelerator (ERA Global) est l’un des plus grands incubateurs présents sur le sol new-yorkais. Ses start-ups alumni ont levé 2 milliards de dollars en capital d’investissement pour une valorisation de près de 10 milliards aujourd’hui. L’opérateur a élaboré une formation accélérée comprenant des séances pratiques de pitching, des rencontres avec des VC et des séances d’informations sur le go-to-market pour des entreprises wallonnes prospectant le marché étatsunien. Quels enseignements en tirer pour les entreprises wallonnes ? Nous en avons parlé avec Catalina Daniels, Venture partner belge chez ERA et surtout résidante de longue date aux USA et dotée d’une connaissance fine de la culture business du pays ET de la Belgique. Rencontre.

 

Dix startups wallonnes ont participé fin 2024 avec l'AWEX à un programme d'accélération dans un incubateur new-yorkais.

Wallonia Export & Investment Agency (AWEX) : Bonjour Catalina. Pourrais-tu d’abord nous parler de ton background ?

Catalina Daniels (CD) : Je suis anversoise d’origine, mais je me considère avant tout comme belge. J’ai longtemps travaillé pour McKinsey, et maintenant je porte plusieurs « casquettes ». Chez ERA (Entrepreneurs Roundtable Accelerator), où je suis Venture Partner, nous accompagnons les startups internationales qui souhaitent entrer sur le marché nord-américain, tout en continuant à travailler avec des startups américaines.

En Belgique, je préside l’accélérateur BirdHouse, qui soutient des startups européennes, surtout dans le domaine de l'« Age Tech » (technologies pour les 55 ans et plus). J’ai également co-écrit un livre intitulé Smart Startups : What Every Entrepreneur Needs to Know.

Enfin, je conseille de manière sélective certaines startups, en tant qu’administratrice ou conseillère.

AWEX : Quelle est votre impression sur la présence d’entreprises belges ici chez ERA à New-York ?

CD : Ca me fait énormément plaisir de voir toutes ces entreprises et startups wallonnes venir ici à New York. Nous recevons majoritairement des sociétés du nord du pays ou de la région bruxelloise donc c’est vraiment encourageant de voir la Wallonie en force avec autant de monde. Les belges sont souvent discrets donc il y a clairement des sociétés provenant des trois régions belges ici dans la Big Apple et dans le reste du pays que nous ne connaissons pas ou peu, mais c’est vraiment bien qu’elles viennent tenter leur chance sur ce gigantesque marché que représentent les Etats-Unis.

AWEX : Qu'est-ce que aujourd'hui recherche le marché américain et que des entreprises ou des start-up belges et qu'il n'y a pas aux États-Unis ? On a parfois l'impression que tout existe déjà aux États-Unis.

CD : Attention : Croire que tout existe ici est en fait un mythe européen ! C’est vraiment la manière dont les Américains aiment qu'on les regarde : tout existe chez eux. J'ai l'expérience des deux côtés de l'océan et je peux clairement dire que tout n'existe pas ici aux USA. Loin de là. De mon expérience, au niveau des solutions technologiques, celles-ci sont souvent bien meilleures chez nous qu'aux USA. La différence c'est que les Américains sont des experts pour expliquer qu'ils ont la meilleure solution, qu’elle est rodée et qu’elle fait tout ce que veut le client… Alors que ce n'est pas nécessairement le cas !

Les Belges, par contre, ils ont la technologie mais ils oublient de la ‘vendre’ en termes de ‘marketing. Souvent je fais l'analogie d'un cadeau : quand on se présente en tant qu’entrepreneur et que l'on présente sa start-up, le Belge il va passer tout son temps sur le contenu de la boîte et il va oublier de mettre un beau ruban et un bel emballage. A l’inverse, l’américain va passer tout son temps sur le ruban et le papier cadeau alors qu’il y aura parfois très peu de choses dans la boîte. Mais qu’importe, au début tout le monde va penser que c'est magnifique et l’intérêt sera maximal !

AWEX : Est-ce qu’un américain y croit quand il dit que sa solution est la meilleure ? On ne sait pas toujours où est la limite entre le jeu d’acteur, la croyance en son produit et la business culture.

CD : Oui bien sûr. On l'a souvent entendu cette semaine durant les sessions avec les entreprises wallonnes. Ils sont vraiment immergés dans leur vision idéale de leur futur, de ce qu'ils veulent réaliser. C’est encore plus vrai quand il s'agit d'une start-up. Dès le lycée on les drilles  à cette culture : ‘Fake it until you make it’. Ils sont nombreux à y croire et ça les aide à y arriver ou du moins à aller loin. En Europe, on fait le contraire. On manque de confiance et on regarde vers d'autres entrepreneurs, notamment les entrepreneurs américains, et on pense qu’ils sont beaucoup plus avancés, que tout est beaucoup mieux… mais ils n'ont rien de plus en réalité.

AWEX :  Quel est le principal challenge pour les entreprises belges qui arrivent ici ? Qu’est-ce qui leur manque et qu’elles devraient prendre en compte ?

CD : Une fois qu'une startup a décidé de venir aux USA, son plus grand challenge c'est de comprendre, d’accepter que tout fonctionne de manière différente. Il y a un potentiel incroyable mais, la plus grosse erreur c'est de se dire : ‘J'ai déjà mon product-market réalisé en Belgique et dans d'autres pays européens, j'ai déjà des revenus, j'ai déjà des clients… je fais un copié-collé !’ C’est une erreur. La plupart des non-américains qui viennent ici, parlent anglais, ont vu pleins de films américains et ont l'impression de comprendre les États-Unis.

Durant la semaine passée ici avec les entrepreneurs, on a parlé des bases comme le meeting. On leur a expliqué que les meetings sont différents ici, que les américains se donnent beaucoup moins de temps pour se faire une impression, que les 30 premières secondes sont absolument critiques… En Belgique on va appeler les gens, ici personne ne n'utilise son téléphone pour appeler, personne ne décroche c'est WhatsApp qui fonctionne. Si vous souhaitez obtenir un premier rendez-vous de 15 minutes, vous allez devoir vous y reprendre au moins 5 fois. En Belgique on laisserait tomber car on appelle ça du harcèlement, ici, pour du pressing, c’est normal.

Bref, il y a en fait une manière de faire du business ici qui est fondamentalement différente et que l'on ne perçoit pas au premier voyage d’affaires. Je crois que leur plus grand obstacle c'est leur confiance en eux leur humilité la manière dont ils pensent ce qu'ils pensent de leurs produits de leurs chances de succès aux États-Unis.

Catalina Daniels, venture Partner chez ERA Global

"Développer son business en Allemagne, ça prend le même temps et la même énergie que de le faire aux États-Unis. Si vous avez du potentiel aux USA, foncez-y sans plus attendre !"





AWEX : Une question de ‘mindset’ et de volonté avant tout donc ?

CD : Pas que. N’oublions pas que le gros avantage des Américains, c'est qu'ils ont un marché gigantesque ! 300 millions de consommateurs qui parlent la même langue. Quand le succès est au rendez-vous, il est énorme ! De plus, ça leur donne comme avantage de pouvoir faire des tests et de se relancer. En Belgique, tu fais un test et, s’il n'est pas bon, tout le monde est au courant et c’est difficile de se relancer.

AWEX : Quelle est l’image des produits et services belges, ou du moins européens aux Etats-Unis ? De meilleure qualité ? Trop chers ? Innovants (ou pas) ?

CD : Cela dépend d’un secteur à l'autre. Par exemple dans les greentechs et cleantechs, la plupart des Américains sont conscients que l’on est plus avancé en Europe. Dans les secteurs plus traditionnels, les Américains ne voient souvent pas l’Europe comme un marché attractif. La raison : C’est compliqué, beaucoup de pays différents, de langues différentes, de culture business différentes…  

AWEX : C’est réellement le cas, l’Europe est compliquée ?

CD : En fait pas beaucoup plus que les USA. Le pays est compliqué aussi, ça on l’oublie souvent. La culture des affaires n’est pas la même sur la côte-est, en Californie ou au Texas. Les USA, ce sont 50 états qui disposent de lois et de régulations différentes… En Europe c'est plus évident mais du coup ça peut repousser en donnant l’impression que la prospection n’en vaut pas la peine. L'américain moyen ne connaît pas le continent tout comme l’européen moyen ne connait pas bien les États-Unis.

AWEX : Vous avez un message à faire passer aux entreprises belges ?

CD : Je dis toujours aux startups que si elles ont le potentiel pour avoir du succès aux États-Unis l'erreur à ne pas faire c'est de commencer par un développement pays par pays en Europe. Développer chez un voisin comme l'Allemagne ça prend le même temps et la même énergie que de développer aux États-Unis. Sauf que les retombées potentielles sont immenses. Si le produit est pertinent et qu’il y a une fenêtre d’opportunités aux États-Unis, foncez-y avant de vous attaquer à 20 pays européens différents.  

Photos © WBI/AWEX

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