L’Estonie, le tigre digital balte : regard sur un pays situé au carrefour de la Scandinavie, de la Russie et du continent européen
Après la restauration de l’indépendance en 1991, l’Estonie s’est retrouvée soudainement seule, hors de l’union gigantesque que représentait l’URSS. Ce fut l’occasion pour ce pays d’écrire sa propre histoire, d’une manière totalement unique : la digitalisation et le numérique, de façon étendue et généralisée.
C’est ainsi que l’Estonie est devenue au fil des années pionnière dans ces domaines et leader dans le domaine de l’e-gouvernance. Le tout afin de réduire la bureaucratie à sa plus simple expression. L’Estonie a été le premier pays au monde à organiser des élections par le biais du vote par internet et le numérique est devenu un élément essentiel du système éducatif estonien.
Ce virage numérique, l’Estonie l’a effectué seule au contraire de ses voisins baltes qui ont effectué cette évolution de manière plus lente et moins approfondie. A cet égard, l’Estonie est souvent présentée comme appartenant à un groupe homogène appelé « les pays baltes », mais il existe des nombreuses différences entre ces pays. Economiquement et culturellement, l’Estonie a très peu en commun avec ses voisins baltes que sont la Lettonie et la Lituanie. La qualité de vie y est globalement meilleure grâce à des salaires et une productivité plus élevés. Cela a également empêché l’exode migratoire qui a frappé la Lettonie et la Lituanie. Ce qui unit les pays baltes, outre leur situation géographique, c’est leur rapprochement simultané avec l’Union européenne, l’Otan et la zone euro.
L’Estonie tire profit de sa localisation nordique et a construit son économie sur les affaires avec la Finlande et les pays scandinaves. Bien que plus bas que les salaires belges, les salaires estoniens sont plus élevés que la moyenne balte, ce qui ouvre la porte à de l’intérêt pour les produits de qualité et de luxe.
La Finlande est un partenaire très important pour l’Estonie et les liens entre les deux pays sont très forts. Les capitales, Helsinki et Tallinn, ne sont distantes que de 90km. Les Estoniens et les Finlandais prennent le ferry entre les deux capitales comme les navetteurs prennent le train Liège-Bruxelles en Belgique. Nombre de Finlandais passent leur retraite en Estonie (pour des raisons liées au coût de la vie), notamment dans la ville balnéaire de Parnü, où l’on constate un boom de la construction et des services liés à la silver economy. Et ces liens sont amenés à grandir dans le futur, avec la construction d’un tunnel routier reliant les deux pays, passant sous le golfe de Finlande. Tout ça, dans le cadre encore plus vaste du projet Rail Baltica, qui prévoit la construction d’un réseau ferroviaire de 800km qui connectera l’Estonie, la Finlande et les voisins baltes que sont la Lettonie et la Lituanie, au reste de l’Europe. Ce projet, d’une valeur totale de quasiment 6 milliards d’Euros et financé par l’Union européenne, représente aussi des opportunités pour nos entreprises. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs déjà remporté des appels d’offre. L’Estonie n’étant qu’à 2h30 de vol depuis Bruxelles, elle n’est donc pas un marché si distant.
L’émergence de la classe moyenne a été largement favorisée par la digitalisation et le numérique qui ont stimulé la créativité et l’entrepreneuriat des étudiants et des diplômés. Ces deux éléments sont également stimulés par l’état estonien qui a créé un environnement favorable au développement du secteur digital, avec des taxes professionnelles basses et des barrières administratives quasiment inexistantes. Et afin d’attirer les idées et talents étrangers, ces conditions sont également d’application pour les entrepreneurs étrangers. Depuis 2014, l’Estonie a développé un programme qui permet à chacun de devenir « e-citoyen » de l’Estonie, se connecter et créer sa société en 10 minutes et démarrer son activité en ayant accès à tous les services de l’état, le tout en payant un impôt des sociétés très faible. Ce programme est l’illustration typique de la politique d’« e-citoyenneté » que l’Estonie mène depuis plusieurs années et qui offre de belles perspectives aux start-ups.
Des sociétés comme Skype, Playtech, Transferwise et plus récemment Bolt, sont des exemples de réussite connues à l’échelle mondiale.
Jean-Philippe SCHKLAR - Trade and Investment Counselor (AWEX) (mai 2021)